Innocents les mains pleines.

Publié le par cgtdelpharmreims

La prétendue doctrine économique dite « libérale » ou « ultralibérale », dont le nom évoque la liberté, c’est-à-dire le principe le plus noble de la vie en société, n’a en fait rien à voir avec ce joli mot. Elle ne fait que définir les pensées directrices des actions à entreprendre au niveau des Etats pour favoriser certains groupes possédant déjà le pouvoir économique.

Historiquement, cette théorie a été initiée dans les années 60 par l’école de Chicago et des économistes.

Elle a été relayée et développée par des groupes de pensées, fondations à l’Américaine, financés le plus souvent par des entreprises multinationales, dont l’intérêt était évident.

Reprise ensuite par le gouvernement américain, le F.M.I. et la Banque Mondiale, elle est devenue la boîte de pandore habituelle, que les Etats en difficulté ne peuvent guère discuter de prime abord puisque les prêts des organismes internationaux sont soumis à leur application. Elle se fonde sur trois séries de mesures : privatisations, désendettement de l’Etat par la baisse du revenu national et verrouillage du marché des changes. Souvent ruineuse pour les pays en question, elle a entre autre pour effet de préserver les intérêts des entreprises étrangères. Dans les dernières années, plusieurs pays d’Amérique du Sud ont refusé de s’y soumettre et ont néanmoins commencé à redresser leurs économies.

Loin d’être un système de pensée autonome et descriptif de la réalité, elle n'est en fait que l'outil employé par certains groupes socio-économiques pour justifier des politiques économiques les privilégiant.

Les bases.

Le premier postulat fondateur de cette prétendue thèse réside dans l’affirmation que l’intervention de l’Etat dans l’économie est néfaste en soi. Il est souvent justifié, dans nos pays de tradition sociale, en invoquant le gâchis, le "bordel" qui règnent prétendûment au sein des institutions publiques, pour le seul motif qu’elles ne sont pas soumises à des impératifs de rentabilité ; et de citer des exemples, qui pour être réels, ne sont souvent qu’humains et présents d’une façon similaire dans toutes les grandes structures bureaucratiques. Dans les pays d’Amérique du Nord, une solide tradition de farouche indépendance des citoyens vis-à-vis des pouvoirs politiques suffit à l’entériner.

Le second postulat, qui est le véritable corps de cette pseudo-doctrine, est que la prospérité des entreprises entraîne celle de tous les citoyens. S’il est bien évident que les difficultés d’une entreprise desservent autant les salariés que les propriétaires, il reste qu’elle répartit ses bénéfices non selon les souhaits des salariés, mais bien ceux de ses actionnaires : pour le personnel, mieux vaut qu’elle gagne 100 et redistribue 20 en hausse de salaires que 200 sans aucun avantage aux salariés.

En Europe, s’est instaurée au XIXe siècle une forme de capitalisme où les grandes entreprises (mines, métallurgie), malgré des bénéfices satisfaisants, maintenaient leurs salariés dans une pauvreté confinant à la misère, allant jusqu’à employer des jeunes enfants pour les tâches les plus ingrates. Cette situation, décrite notamment par Zola, n’est pas si lointaine dans le passé, ni dans l’espace pour de nombreux pays défavorisés. Notons que seule une réglementation législative, connue en France sous le nom de Code du Travail, a permis d’en sortir progressivement ; rien ne permet de dire que la seule volonté des entrepreneurs aurait eu le même effet, tant sont opposés les intérêts en jeu. Cette réglementation s’est du reste bâtie par la volonté politique des gouvernements, contre l’opposition des propriétaires des entreprises.

Ce postulat possède un corollaire naturel : pour une économie prospère, il convient et il suffit de privilégier le soutien réglementaire et financier aux seules entreprises, de leur accorder toutes les facilités juridiques et matérielles afin qu’elles soient dans la meilleure santé possible, au détriment des autres agents économiques si besoin est. Rappelons que la mesure de la santé d’une entreprise est le niveau de ses profits, actuels et prévisibles.

Le troisième postulat est que la meilleure organisation économique possible est la liberté d’agir laissée à chaque agent. Ainsi énoncé, il paraît naturel et indiscutable. Il ne faut pas oublier que, poussé au bout, il amène à supprimer tout droit au salarié, toute limitation aux exigences d’emploi des entreprises, qui détiennent alors tous les pouvoirs face aux salariés, et tout droit organisé au consommateur et à l’épargnant.

C’est cette vision que certains ont nommée de façon imagée «  le renard libre dans le poulailler libre » pour exprimer le déséquilibre de pouvoirs existant dans la vie courante entre employeurs et salariés, et prêteurs et emprunteurs.

En appliquant ce principe à la lettre, on autorise, comme il y a 150 ans, le travail des enfants au fond des mines douze heures par jour, on laisse les entreprises libres de licencier à leur guise - pour faits de grève ou syndicalisme par exemple, ou parce qu’une salariée est enceinte ou un salarié malade. Il s’agit ici de la stricte efficacité économique, sans aucune autre considération. Il faut remarquer que ce postulat trouve ses propres limitations par la nécessité pour les employeurs de maintenir le personnel en relativement bonne santé pour fournir un travail efficace et lui apporter un revenu suffisant pour que la consommation, carburant de la machine, permette une certaine croissance.

Les actions et leurs conséquences.

Cette théorie, qui peut paraître abstraite et fumeuse, conduit tout naturellement à une série de mesures de politique économique parfaitement concrètes et influençant la vie quotidienne des citoyens : c’est bien leur but.

Le premier ensemble est le démantèlement des activités de l’Etat qui peuvent être accomplies par des organismes privés. Ainsi le système de couverture maladie, d’abord assoupli dans le sens de moindres prestations (forfaits hospitalier, par ordonnance, par actes coûteux, à la charge des malades) est-il ensuite confié à des compagnies d’assurances et les systèmes de retraites à des caisses privées. Les organismes sociaux peuvent être largement privatisés, en commençant par la recherche d’emplois, confiée à des officines de placement. Bien entendu, les services publics, qui garantissent normalement l’accès égalitaire des citoyens à des biens et des services de base, sont privatisés, de la distribution d’eau, gaz et électricité aux chemins de fer, à la poste et aux télécommunications.

Ces transferts au secteur privé, présenté comme plus productif sans aucune démonstration, lui apportent des activités de services de base pour les citoyens, qui permettent ensuite d’amener ceux-ci vers des produits à plus grande valeur ajoutée, c’est-à-dire plus profitables. A la fin du processus, l’Etat ne conserve plus que ses fonctions dites régaliennes : police, encore que les milices privées peuvent se multiplier, justice, encore que les juges dits de proximité peuvent être contractuels, et armée, encore que des sociétés privées peuvent la seconder (cf en Irak), on socialise les pertes et on privatise les profits.

Un des moyens employés pour justifier cela est la dégradation des services publics, volontairement provoquée, pour arguer de leur inefficacité. En France, il n’est que de prendre les exemples de la SNCF ou de La Poste pour en être convaincu. Quant à ne pas remplacer des fonctionnaires partant à la retraite...

Le deuxième ensemble d’actions, voisin du premier, est la privatisation de toutes les sociétés d’Etat à activité industrielle et commerciale, qui est souvent une énorme source de profits pour les grandes entreprises. Ainsi en France de sociétés d’autoroutes ou d’industries aéronautiques, dont la privatisation a permis quelques acquisitions superbement attrayantes par des grands groupes. Les motifs invoqués sont souvent le manque de concurrence et d’efficacité ; le simple exemple français des trois sociétés de téléphonie mobile, condamnées en première instance à des amendes records pour entente illicite, montre la vanité de ces arguments.

Le troisième ensemble de mesures est la baisse des charges des entreprises, à plusieurs niveaux.

En premier lieu, les charges « pesant sur le travail » - expression imagée tendant à faire croire que les salariés en subissent seuls les conséquences  : cotisations sociales, d’assurance-chômage, etc. Le stade ultime est l’exonération totale, prônée par certains hommes politiques en France (heures supplémentaires, premières embauches). Deux points à noter : l’Etat devrait payer aux organismes sociaux les cotisations supprimées, mais souvent ne le fait pas ; les salariés, eux, continuent à payer les cotisations dites salariales.

Le prétexte, souvent invoqué, de lutte contre le chômage, ne tient pas : toutes les enquêtes, les études et le simple bon sens montrent que les entreprises n’embauchent pas parce que les charges ont baissé, mais bien sûr en fonction de perspectives favorables d’activité et de bénéfices.

Un deuxième domaine est celui des impôts payés par les entreprises : sur les bénéfices, déjà réduit en France de 50 à 33 % ; les diverses taxes, nationales ou locales, font l’objet d’aménagements périodiques.

Enfin, la destruction progressive du Code du Travail, point très important pour les entreprises employant beaucoup de main-d’œuvre. La réglementation actuelle, protégeant les salariés en matière de contrats, de rémunération et de conditions de travail, est jugée très gênante par rapport aux pays de délocalisation; le chantage est facile pour les moins scrupuleux. Ainsi en France CNE puis CPE ont-ils fait leur apparition plus ou moins réussie ; des projets de suppression du CDI sont avancés par certains.

Diversions et paravents

Toutes ces mesures, parfois électoralement délicates, sont en général insérées dans un contexte de politique globale caractérisé par une nécessité de rigueur et, en compensation, des actions de type plus ou moins démagogique.

Ainsi, la nécessité de réduire les déficits, donc de faire des économies, de juguler l’inflation, de lutter contre le chômage, donc de modérer ses prétentions, fournit un cadre favorable aux désengagements de l’Etat et aux privatisations. Il faut ici noter que la réduction de l’endettement public, qui est parfois cité comme prioritaire de façon largement arbitraire, revient in fine à rembourser aux banques et aux institutions financières des emprunts à faible taux, libérant pour celles-ci des capacités pour des prêts ou des placements plus juteux.

En sens inverse, la baisse de l’impôt sur le revenu des ménages, même si elle profite d’abord aux revenus les plus élevés, apporte une obole bienvenue devant la stagnation du pouvoir d’achat malgré les profits records des entreprises.

Un autre dérivatif réside dans l’encouragement aux créations d’entreprises, qui a pour but de persuader les salariés que, la fortune est au coin de la rue et que chaque deuxième classe a ses chances. C’est la version « ultralibérale » de l’espoir qui fait vivre. Mais c’est aussi et surtout un vivier de trés petites, petites et moyennes entreprises très intéressant pour les grandes: racheter, même cher, des PME bien lancées est meilleur marché et moins risqué que de se hasarder soi-même.

En France, le vieux thème de l’actionnariat et de la participation des salariés vient aussi parfois mettre un peu de baume au cœur de ceux-ci. De baume seulement, comme on le voyait lors de l’intervention télévisée du Président Chirac le 14 juillet 2006, où il déclarait :« Il n’y aura pas, je le répète, de réponse au problème du pouvoir d’achat s’il n’y a pas d’actionnariat ouvrier. » idème pour Sarko. Ce qui signifie bien que le pouvoir d’achat n’a pas à être amélioré par une hausse des salaires : ces autres formes de rémunération des salariés sont nettement plus avantageuses pour les employeurs, au détriment des cotisations sociales.

 Causes et effets

Mais le lecteur peut se dire : tout cela n'est que balivernes est théorie économique, quelque chose de scientifique et de sincère, qui peut bénéficier à tous; c'est un procès d’intention.

Eh bien il faut bien voir que la quasi-totalité de ces mesures ont pour effet direct et premier d’augmenter les bénéfices des entreprises ; ce ne peut être pas un hasard. Celles-ci choisissent ensuite l’affectation de ces surplus, entre investissement interne, actionnaires, salariés, éventuellement clients et fournisseurs. Mais elles peuvent parfaitement en distribuer l’intégralité à leurs propriétaires, à qui appartient la décision ; en pratique, la plus grande partie. Seules quelques-unes des diversions citées plus haut profitent directement aux ménages, mais d’autant plus qu’ils sont plus aisés ; la charité via quelques mesures ponctuelles pour les plus démunis sont réellement sociales, mais elles sont dans l’ensemble assez peu coûteuses, ce qui est justifié par la nécessité de rigueur.

Ainsi ce système est-il bien, sous couvert de théorie économique, le cheval de Troie introduisant les mesures désirées par les grandes entreprises dans la politique des gouvernements.

Certains messages, adressés périodiquement aux chefs d’entreprises par les hommes politiques sous une forme discrète, le confirment clairement : parler de « libérer les énergies », « l’initiative », de favoriser l’épanouissement des « forces vives » et des « talents » est bien manifester le souci d’avantager les entreprises, présentées comme les seules entités de progrès, par rapport aux salariés dans la conduite de la politique économique. 

Mais prenons donc le problème à l’envers : imaginons que nous soyons propriétaires d’une entreprise et que nous ayons la possibilité d’influencer la politique du gouvernement, que ferions-nous ?

 Nous savons tous plus ou moins trouver des clients, fixer nos prix et notre production ; mais maîtriser nos coûts externes est plus difficile. Or, nos bénéfices seront d’autant plus grands que nos charges seront basses : faisons-les baisser:
Pour compenser les baisses de recettes de l’Etat ainsi provoquées, faisons privatiser ; de plus, les activités récupérées du secteur public sont très intéressantes et nous les aurons à vil prix. Ensuite, supprimons autant que possible les « freins à l’embauche » (mais surtout au licenciement) que constitue le Code du Travail. Pour feindre l’innocence, appliquons-nous à réprimander périodiquement le gouvernement pour son manque d’attention aux prétendues difficultés des entreprises, et le tour sera joué.

Bien à vous.

Publié dans Comment ça marche

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